your heart is pumping blood

Elle n’avait pas encore vu cette classe. Elle ne connaissait pas les élèves, ne les avait jamais rencontré et ne retiendrait leur nom qu’une fois la page du mois de mai tournée. Elle ne se souviendrait jamais de leurs noms, elle le savait très bien. Tout le monde le savait très bien. Au bout d’un certain temps, elle se rappelait d’eux en évoquant leur rôle dans la pièce qu’ils joueront. Elle les appelait tantôt Roméo, tantôt Tituba. Mais jamais par leurs véritables prénoms. Il faudrait qu’elle pense à les mettre au parfum, qu’ils ne se posent pas trop de questions. Les questions, c’est tellement agaçant et pourtant, elle y répond toujours. Parfois avec une boutade en guise de ponctuation. Rien de méchant.

Elle repousse ses cheveux bleus vers l’arrière de sa tête. Manie parfaitement inutile puisque ses cheveux retombent une nouvelle fois en cascade autour de son visage. Ça donne du volume. Un air de bonnasse aussi – enfin, ça, c’est ce qu’elle se dit. Elle replace son ordinateur portable dans la pochette beige à éléphants roses, passe la bandoulière sur son épaule et part vers l’aventure. Découvrir une nouvelle classe, c’est toute une aventure. Une longue série de répétition, aussi. Avoir toutes les troisièmes années en même temps, c’est carrément un défi. C’est pour cette raison qu’elle les réunit dans le réfectoire. Grand lieu, plus de place. Besoin de mettre du volume. Avec autant d’élèves, elle fonce dans le tas directement. Compétence Ecouter. Ecouter le professeur, écouter les élèves. Ecouter ce qui est dit et ce qui a été dit. Pas de quartier. C’est comme un mot d’ordre dans son parcours du combattant. En attendant, elle marche rapidement vers les salles de classe à la rechercher des éventuels troisièmes. Ils ne sont jamais au courant de rien, ils oublient rapidement. Ou alors, le professeur oublie. Ça aussi, ça arrive. On ne peut pas toujours blâmer les élèves et en ce premier jour de cours, elle ne les blâmera pas. Satané lundi. Un lundi dernière heure. Des vacances pour eux, pas pour elle. En attendant, le lundi matin, c’est sa journée grasse matinée, on ne peut pas le nier. Elle pourrait même se lever à midi, si elle le voulait. Elle se demande vaguement si Alek a cours le lundi matin. Elle pensera à le lui demander.

Deux minutes plus tard, elle a déjà oublié, interrompue dans ses pensées par un cri. Un homme – ou un garçon, qu’est-ce qu’elle en sait au fond ? – vient de crier son nom de famille dans le couloir. Elle se retourne, prête à faire remarquer à l’élève qu’on ne crie pas après ses professeurs en gueulant son nom de famille, quel manque de politesse. Après, elle se rend compte qu’il s’agit d’un surveillant. Elle ouvre la bouche, pour lui crier que ça ne sert à rien de l’appeler de cette manière. Elle referme la bouche en découvrant que le surveillant de s’adressait pas à elle mais à un élève – un type gigantesque, mais un élève quand même. Elle le dévisage. Bon dieu… C’est possible d’être aussi grand ? Et encore, le terme « grand » est un bien bel euphémisme à côté de la taille de cet adolescent – il mesure combien ? Trois mètres ? Puis, elle se rend compte qu’il la dévisage en retour. Et qu’il lui parle, aussi.

« … C’est possible d’être aussi grand ? Je veux dire, d’être aussi grand ? »

Elle appuie sur le « aussi ». Elle est choquée. Mais ce n’était pas ça, le sujet de départ.

« Il t’a appelé Llewellyn ou c’est moi qui deviens totalement paranoïaque ? »