Balbutiements de la connaissance

Premier cours où l'on rencontre encore de nouveaux élèves

Son premier cours de l'année s'était relativement bien passé, c'était donc sans tous les sentiments négatifs de la veille qu'il s'éveilla aux alentours de 8h. Il se fit un café instantané pour achever l'activation de son cerveau ; l'effet de la caféine était plus de l'ordre rituel qu'une réalité scientifique pour lui, ou peut-être faudrait-il qu'il en boive quelques-uns de plus. Il s'installa à son bureau et sortit son emploi du temps. Il avait la classe 2B pour la dernière heure de la journée, ce créneau deviendrait certainement éprouvant au fil de l'année. Avec un peu de chance, puisqu'il s'agissait d'un cours se déroulant une heure seulement après la fin du repas, les élèves les plus dissipés préfèreraient dormir au fond de la classe plutôt que de chercher à ruiner son cours…

La journée passa à une lenteur folle, il sortit de temps à autres du bâtiment afin d'allumer un de ses petits bâtons de nicotine. Il avait d'ailleurs bien réduit sa consommation en arrivant ici, certainement un effet du grand air, ou était-il un peu moins stressé maintenant ? Enfin, lecture, repas, lecture, écriture de l'ersatz de cours qu'il aurait l'occasion de donner après les traditionnelles présentations qu'il imposait aux élèves. Il s'installa en salle des professeurs aux alentours de 13h, il but un ou deux cafés supplémentaires le temps que le cours arrive, relisant son cours et le programme qui n'avait absolument aucun sens. Comment une bande de larves amorphes pourrait-elle comprendre les subtilités des notions évoquées s'il suivait le programme imposé ?

Enfin, l'heure arriva, il rangea ses feuilles volantes dans leur pochette et mit le tout dans sa sacoche. Il pressa légèrement le pas pour arriver avec un peu d'avance. Il fit rentrer les élèves et, à l'heure exacte du début du cours, ferma la porte. Il avait inscrit au tableau quelques informations précieuses.

Il se retourna et, pour avoir le silence complet, tapa du plat de la main sur le bois du bureau. Ses yeux glacés filèrent entre les élèves, essayant déjà de distinguer les quelques spécimens dignes d'intérêt à travers le brouillard de bêtise qui émanait de ces êtres.

- "Mr Vaughan, je serai votre professeur de biologie pour cette année. Au tableau vous pouvez trouver mon adresse mail, je la mets à votre disposition si vous ressentez le besoin de me contacter en dehors des cours. Je vous prierais évidemment de ne pas l'utiliser sans raison."

Il se tenait droit, debout à côté de son bureau et lança un regard impérieux à la masse ignorante qui lui faisait face.

- "Veuillez sortir une feuille sur laquelle vous inscrirez lisiblement vos nom et prénom. Vous la poserez sur un coin de votre table, que je puisse vous identifier."

Il s'assit alors enfin et sortit quelques documents de sa pochette.

- "Une rapide introduction à ma matière que vous connaissez déjà puisqu'étudiée pendant au moins un an par chacun d'entre vous. Le programme de cette année m'impose de vous faire travailler principalement sur la reproduction animale ainsi que sur la transmission et la conservation de l'information génétique. Evidemment, le programme n'étant qu'une invention de quelques personnages croyant posséder la science, je vous enseignerais bien plus que cette initiation simple et superficielle qui m'est imposée."

Ses yeux passaient d'élève en élève, essayant de voir l'étincelle de la vie briller dans l'un d'entre eux.

- "- Il me paraît logique de considérer votre programme de l'an passé acquis, je ne ferais donc que des rappels essentiels sur les fondamentaux."

Une fois de plus il avait l'impression de se retrouver face à une assemblée de personnes en état de mort cérébrale, mis à part les quelques dissipés qui murmuraient presque discrètement.

- "Afin de vous réveiller un peu et pour changer des formalités traditionnelles de la classique fiche d'informations je vous demande de venir vous présenter à tour de rôle face à vos camarades. Je compte sur une organisation calme et un silence respectueux pour vos camarades qui s'exprimeront."

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“ balbutiements de la connaissance ”

C’était la fin de la journée, son sac devenait lourd à force de traîner sur son épaule, et il avait presque fini son livre à force de l’ouvrir à chaque fois qu’il en avait l’occasion. Il lui restait encore une heure de biologie à tirer, une matière qu’il aimait. Il entrait dans la salle en même temps que ses camarades, retournait s’installer à sa sempiternelle place près de la fenêtre, posait comme d’habitude son livre sur le coin de sa table, et sortait sa trousse et le cahier dédié à la biologie. Il espérait que le prof qu’il allait avoir cette année serait plus passionnant que l’autre. Qu’il ait autre chose à faire que lire les pages du manuel pour occuper les heures de cours qui étaient censées lui apprendre des choses.
Il regarda l’adresse mail, notée au tableau et ouvrit son cahier pour l’écrire quelque part, dans une marge, là où il serait sûr de la retrouver un jour. Il essayait de se faire une idée du prof que la classe avait en face d’elle. Mais sans informations supplémentaires, c’était assez compliqué.

Il se contenta de faire comme tout le monde, de faire cette étiquette que le prof venait de demander, en pliant soigneusement la feuille pour qu’elle tienne debout toute seule, avant d’attraper le marker noir au fond de sa trousse et écrire LEROY CLENAN en majuscules, seul moyen pour lui d’être lisible, surtout de loin. Il cala l’étiquette sur son livre. Elle était surélevée, et était donc forcément lisible. Puis il rangea son marker, bien au fond de sa trousse, et croisa ses bras sur sa table avant de caler son menton dessus.
Il continuait d’écouter attentivement le prof.
Il était content que ce dernier ait décidé de ne pas suivre le programme à lettre, ce qui le fit sourire. Un sourire caché par le tissu de ses manches, mais qui se voyait sûrement dans ses yeux. Il avait toujours aimé la biologie, les sciences en général, et cette année, apparemment, il allait avoir un bon prof, l’occasion d’apprendre autrement qu’en lisant et en relisant les pages du manuel jusqu’à pouvoir les réciter devant tout le monde. Rien que pour ça, le prof, monsieur Vaughan, avait son entière attention.

Il était bien, près de sa fenêtre.
Pour une fois, il ne regardait pas dehors. Cette fois, les nuages ne l’intéressaient pas. Il avait autre chose à découvrir, cette année, ils allaient étudier la génétique. Les allèles, l’ADN, l’ARN, l’ARN de transfert, comment l’information génétique passe du parent à l’enfant. Tout ce genre de choses qu’il avait déjà vues, de loin, dans les grandes lignes, quand il se renseignait de lui-même parce qu’il avait envie. Combien de chances a un enfant d’avoir les yeux d’une couleur donnée si un de ses parents a le gène de cette couleur ? Gène récessif, gène dominant, pourcentages et tout le tintouin.
Pour au moins une matière, l’année promettait d’être pleine de surprises.

Et puis sa bonne humeur se volatilisa comme elle était venue.
Une présentation orale. Le prof demandait une présentation orale. Il détestait ça. Il détestait devoir parler de lui, sentir tous les regards braqués sur sa nuque, sur son visage. Et qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir dire ? Bonjour, moi c’est Leroy, je suis narcoleptique, vous savez probablement pas ce que c’est, je m’en fous, et je sais absolument pas ce que je veux faire plus tard, maintenant fichez-moi la paix.
Quelque chose dans ce goût-là.

Il avait un nom de famille en C.
Il était parmi les premiers de la liste.

Il se mordilla l’intérieur de la lèvre. Il n’avait pas envie de faire cette présentation. Il avait envie d’aller dire au prof qu’il ne pouvait tout simplement pas la faire. Parce qu’il n’avait rien à dire. Parce qu’il ferait probablement une crise s’il était trop stressé. Pour tout un tas de raisons toutes plus idiotes les unes que les autres, et aucune de valable. Il allait devoir y passer, il n’y couperait pas plus que ses camarades.

Il se mit à fixer le PVC du plateau de sa table en attendant que le prof appelle son nom. En attendant que ce soit son tour, et il écoutait vaguement ses petits camarades parler d’eux, en se demandant ce qu’il allait bien pouvoir dire à son sujet.

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