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Vendredi, Lyra avait sa journée, pas d'enfants à garder et elle devait avouer que ça l'arrangeait. Abigail, du haut de ses 6 ans, était une petite fille pleine de vigueur et d'énergie, un peu comme sa tante. En quelques semaines les genoux et les coudes de sa filleule s'étaient recouverts de plaies et d'égratignures. Autant dire que le stock de pansements et de désinfectant descendait vite avec elle et tous les autres petits loulous dont elle s'occupait quotidiennement.

Elle avait donc décidé de profiter de son jour de libre pour aller faire un tour à la pharmacie. Vêtue de son classique haut sans manches moulant en simili cuir noir, d'un jean ciré blanc et de sa paire de sandales à talons hauts préférée, elle était heureuse que la température soit encore agréable à cette période de l'année. La petite blonde déboula en courant dans l'entrée toute vêtue de rose et de blanc, elle était mignonne comme tout dans sa robe d'été.

- Aller, dépêche-toi ma puce ! Si on ne part pas maintenant la pharmacie sera fermée en arrivant.

Lyra jeta un coup d'œil rapide à l'horloge du hall d'entrée, presque onze heures et demie… Elle prit Abigail par la main et toutes deux sortirent. La jeune femme profitait de ce qu'elle supposait être les dernières semaines de presque douceur avant que l'automne humide ne vienne rafraîchir l'atmosphère. Depuis les quelques années qu'elle habitait ici elle avait déjà eu bien des occasions de visiter le village qu'elle connaissait à présent comme sa poche.
La petite blondinette tirait sur sa main pour la faire avancer plus vite. Dans sa course effrénée elle avait manqué plusieurs fois de percuter passants et réverbères. Lyra souriait en la retenant comme elle pouvait, la voir pleine d'énergie était toujours une source de bonheur.

La pharmacie commençait à se dessiner dans son champ de vision alors elle concéda enfin à presser le pas pour satisfaire la petite. La petite sonnette de l'entrée tinta deux fois quand elles entrèrent, et puis une fois supplémentaire pour Abigail qui s'amusa à repasser pour la déclencher. Lyra aimait aussi faire ça avec Judy quand elles étaient enfant, ce souvenir la fit sourire.

Il n'y avait pas grand monde, c'était le côté agréable de la campagne. Elles étaient loin de toutes les bousculades de la ville, elle avait encore en mémoire la foule qu'elle avait pu voir lors ses visites à sa sœur dans la banlieue de Londres. Elle était heureuse de pouvoir élever Abigail en dehors du brouhaha et de la pollution de la grande ville.
La petite tira sur sa main pour qu'elle sorte de ses pensées. Un homme à l'allure plutôt originale était étalé au sol devant le comptoir.

- C'est un clown le monsieur ?

Les paroles innocentes de la petite la firent rire. Ses chaussures rouge pétant et sa position comique pouvaient porter la confusion dans l'esprit des enfants. Lyra lui répondit, des larmes de rire aux coins des yeux.

- Mais non ma chérie, c'est juste un monsieur qui est tombé.

Elle s'approcha d'ailleurs de l'homme qui avait presque supplié pour qu'on lui donne de la crème. Elle avait ri, d'accord, mais ça ne l'empêchait pas de s'inquiéter.

- Ça va aller ? Vous avez besoin d'aide ?

Il se releva précautionneusement, comme s'il était possible qu'il retombe au moindre mouvement. Malgré cette chute il avait le sourire, ce ne devait donc pas être grave.

"Je pense que ça devrait aller...je suis encore en vie, n'est-ce pas ?"

- "Effectivement, c'est déjà une bonne chose." répondit-elle d'un ton enjoué.

Il se mit à rire, un rire franc et plein de bonheur, le genre de ceux qui donnent envie de rire aussi. Son sourire s'agrandit un peu plus, détende et rassurée qu'il n'y ait pas de casse. Malgré tout une sorte de lueur moins joyeuse passa dans ses yeux dont la couleur avait étonné Lyra, un beau vert absinthe dont la teinte irréelle ne pouvait venir que de lentilles. L'autre chose qui la surprit fut la cicatrice qui barrait son visage, elle se demanda quel genre de chute pouvait laisser une marque telle que celle-là. Elle fut interrompue dans ses observations lorsqu'il passa commande.

"De l'arnica, s'il vous plaît. Deux tubes...peut-être trois...je crois que je vais en avoir besoin tout le temps...Je risque de revenir souvent."

Elle jeta un petit regard à Abigail, histoire de vérifier que la demoiselle turbulente ne soit pas en train de faire une bêtise, et détailla le spécimen qu'elle avait sous les yeux. De longs cheveux gris, pourtant il n'avait pas l'air d'avoir l'âge suffisant pour se mettre à grisonner naturellement. Passé ses chaussures d'un rouge éclatant il avait un look plutôt sobre, malgré tout il émanait de lui une sorte d'extravagance douce.

Il se retourna et lui tendit la main pour la saluer.

"Je m'appelle Andras Law, professeur de philosophie à la Wentworth Academy. Enfin...si je reste en vie d'ici là...Et en un seul morceau de préférence..."

Elle lui serra la main, un sourire franc toujours peint sur le visage.

- "Lyra Worsley, je garde les enfants au village." Elle détourna le regard, cherchant sa filleule des yeux. "Et la petite qui court là-bas c'est Abigail, ma nièce."

A l'entente de son nom elle accourut dans leur direction, lancée comme un boulet de canon elle acheva sa course dans les jambes de Lyra, la déséquilibrant instant avant de la faire rire.

- "Dis bonjour au monsieur mon cœur."

Elle recoiffa un peu les mèches blondes qui avaient volé dans tous les sens.

- "Bonjour…"

Elle s'était cachée derrière les jambes de sa tante. Lyra rit un peu en lui caressant la tête.

- "Elle fait sa timide. D'habitude elle est très bavarde."

Abigail serrait comme elle le pouvait le jean immaculé entre ses petites mains, tirant la jambe de Lyra pour qu'elle la cache un peu mieux. Andras souriait toujours, pas le moins du monde dérangé par le comportement de l'enfant. Il se mit même à son niveau pour faire connaissance, Lyra poussa un peu la petite pour l'encourager.

Il fouilla dans son sac, dont la couleur éclatante tira un sourire à la jeune femme, et en sortit un bonbon jaune qu'elle supposa être au citron. Il souriait, un sourire doux qui donnait envie de sourire à son tour.

"Bonjour Abigail, je m'appelle Andras. Tu en veux un ?"

La petite fille regarda sa tante, l'air de demander la permission, et lâcha le pantalon pour tendre une main tremblante vers la confiserie. Ses yeux brillaient d'envie à l'idée de manger cette sucrerie qui lui était offerte mais elle était hésitante, timide devant cet inconnu. Finalement elle attrapa le bonbon avant de tenter de s'enfuir en courant, mais Lyra la retint en la saisissant gentiment par l'épaule.

- "Abigail… Qu'est-ce qu'on dit ?"

Elle fit la moue, ses cheveux tombant devant son visage, avant de lever son grand regard bleuté emplit d'innocence vers Andras, un petit sourire timide sur les lèvres.

- "Merci monsieur."

La petite blondinette goba le bonbon avant de se diriger en gambadant vers le rayon des savons. Dans ces moments là, Abigail lui rappelait douloureusement Judy. Elle lui manquait toujours autant malgré le temps qui s'était écoulé, et son absence n'était que plus présente lorsque les boucles blondes et le regard céruléen de sa tendre sœur  prenaient la place de ceux de sa nièce dans son esprit.

Une sorte d'éclat de tristesse vint se ficher dans son cœur, mais elle se rattrapa bien vite, s'accrochant au rire d'Abigail pour fixer un sourire à ses lèvres, l'air de rien. Elle murmura, presque pour elle.

- "Elle est si mignonne…"

Lyra passa une main dans ses cheveux, faisant voler quelques mèches qu'elle enroula autour d'un de ses doigts, jouant avec.

- "Vous semblez à l'aise avec Abigail. Avez-vous des enfants ?"

Elle gardait un œil tourné vers la position présumée de la petite qui courait de droite à gauche, ouvrant les produits non emballés pour les sentir. La petite tournait de temps à autres son regard vers Lyra et Andras. Il fallait toujours garder un œil sur les enfants, notamment lorsqu'ils sont aussi turbulents et actifs qu'Abigail.