C'est en soupirant que tu attrapas la poignée de la porte et la poussas, entrant dans ce que vous connaissiez comme étant le pub le plus sympathique du coin. Pour peu qu'il y en avait, c'était celui où vous aimiez y faire un tour, de temps à autre, quand les cours ne prolongeaient pas vos week-ends caféinés. Bref, un pub des plus simples, à l'anglaise, dans cette ambiance ancienne comme on en trouvait dans les bonnes années, et où les lumières faisaient reluire les boiseries de l'intérieur.
C'est le barman un peu barbu qui vous accueillis avec le sourire, et tu ne pus t'empêcher de le saluer de la main, après avoir laissé Alek entrer. Des salutations comme à chaque fois, chaleureuses et rapides, mais qui démontraient de votre qualité d'habitués. Vous en étiez après tout.
Il y avait cette bonne odeur comme tu les aimais, vous vous installiez à l'endroit où vous préfériez, là où vous étiez toujours, près de la fenêtre. Une table à deux dans un coin. C'était le mieux pour vous, deux professeurs de lycée cherchant une pause un temps soit peu profitable, cherchant de loin les regards calculateurs de ceux qui voulaient vous juger sur votre profession. Et c'est en soupirant également que tu défis ton écharpe et ton trench coat pour les poser sur la banquette en cuir, puis tu t'installas sans plus autre cérémonie. Non vraiment, il n'y avait rien de mieux qu'une sortie entre collègues, lien qui à présent n'était plus vraiment de l'ordre du travail. Oui, on pouvait dire qu'Alek était un bon ami avec qui tu aimais rire. N'était-ce pas rare en soi?

Ah, enfin au chaud! Il fait bien frais aujourd'hui...

Lanças-tu en te frottant un peu les mains, dont les extrémités avaient quelque peu de mal à trouver la chaleur intérieure. Et à peine les mains frottées, tu pris directement la jolie carte posée debout sur la table et te mis à la lire. Tu ne savais pas tellement s'il était idéal de boire aussi fort en fin d'après-midi, mais dans un sens tu avais bien envie de voir Alek au bout de son troisième verre. Tes yeux avaient à peine parcouru les deux pans du menu que tu avais déjà repéré Roast beef comme on en voit rarement de bien préparés ailleurs dans le monde. Seul les Anglais étaient de véritable cuistots en matière de cuisine anglaise. Et si quelqu'un, qu'il soit Français ou étranger, venait à insulter la cuisine anglaise, tu pouvais perdre ton sang froid. Tu aimais le traditionnel, tu aimais aussi le rustique. Deux choses que tu avais redécouvertes voilà seulement quelques années, et si tu avais l'occasion d'en profiter, tu ne t'en privais pas. Tu avais tendu le menu à Alek, tu avais fait assez vite pour qu'il n'ait pas à attendre et souris. Peut-être qu'accompagné d'un Côte de Beaune-Villages cela passerait bien.

Pour moi ce sera le classique Roast beef, tu bois un peu de vin avec moi?

C'était un peu la question fatidique lorsqu'il s'agissait d'Alek. L'alcool. Si parfois tu faisais attention à ce qu'il ne boive pas, cette fois-ci tu l'incitais clairement à se défouler. Non pas que tu voulais foncièrement être méchant avec lui, mais les soirées où tous les deux vous profitiez du fait de ne voir personne à l'horizon qui pourrait vous réprimander, tu ne te gênais pas pour l'entraîner dans tes festoiements. Et quels festoiements ils étaient!
Une fois que tu eus les deux commandes tu allas les passer au bar rapidement puis revins tout aussi vite. Ça t'avait manqué de venir dans un pub, depuis le temps que tu avais refusé de sortir pour la moindre copie qui s'accumulait sur ta table de chevet. Tu pris l'occasion de déposer quelques trucs à grignoter sur la table, lesquelles tu avais eu du tenancier.

Alors? Tu me parlais de cette histoire avec Eilidh.

Recommenças-tu, plus curieux que taquin.

Tu t'es enfin décidé à bouger ?

 

Tu haussas les épaules. Tu avais qu'il n'aimait pas l'alcool, mais en même temps tu ne voulais pas être le seul à boire ce soir, même si ce n'était qu'un verre. Et puis, c'était aussi pour le taquiner, mais rien de bien méchant; on ne fait que charrier des amis que l'on connaît depuis un certain temps. Une chance que Blair ne soit pas là. Enfin, ce qui t'intéressait beaucoup plus que tout le reste pour l'instant, c'était cette histoire avec Eilidh. Si ton ami avait des hésitations avec les verres de vin, il n'était pas non plus à l'aise avec cette jeune femme, plus que la gente féminine en général. Et pour la simple et bonne raison qu'il avait bien plus qu'un feeling avec elle. Forcément, à le voir autant se débattre pour trouver une solution te faisait certes sourire, mais pas que. Eilidh était aussi pour toi comme une petite sœur. On pourrait croire que tu la défendrais à tout va, mais en réalité avec Alek tu faisais le contraire : entremetteur à fond. Tu étais un pont entre ces deux êtres et ça te plaisait plutôt bien.

L'Islande? Pas mal ouais... c'est un lieu idéal. En plus vous ne serez pas embêté par l'entourage ou les élèves. Même pas par moi!

Lanças-tu dans un rire plutôt éloquent, avant de regarder par la fenêtre.

Tant que c'est lancé, je n'ai pas à m'inquiéter. D'ailleurs, je dois dire qu'elle n'a pas arrêté de parler de toi dernièrement. C'est assez encourageant, non?

Dehors, le vent soufflait avec violence, tu l'entendais siffler très nettement comme une voix humaine pourrait le faire. C'était assez impressionnant, mais tu avais l'habitude. Les pays froids étaient de ton lot, et tu savais que seuls ceux qui pouvaient subir des températures aussi basses pouvaient rester ici. Ce que l'on appelait des résistants, ou des fous.

Je parie qu'elle t'aime déjà.

C'est là qu'une silhouette familière s'approcha de vous, des assiettes en main. Tes yeux n'avaient pas fait attention jusqu'à ce qu'un sourire fin étira ses lèvres et n'annonça les plats que vous aviez commandé. Une serveuse qui était là bien avant toi de ce que tu te souvenais. Dès que tu étais arrivé ici tu avais vu son visage, le seul qui te faisait parfois oublier que les femmes étaient des pestes ou des âmes à profiter de l'argent des autres. La seule peut-être aussi qui te faisait oublier Eléanor, ce n'était bien entendu pas du tout le même genre et cela gardait une certaine bouffée d'air dans cette vie plutôt étouffante. Tu répondis avec le sourire lorsqu'elle vous servit et hocha la tête de même, avant de contempler ton plat. Toujours parfait comme d'habitude, et l'odeur qui s'en dégageait te faisait tirailler l'estomac.

Merci ~. Haaa, et voilà pourquoi je ne peux pas me passer de venir ici.

Quelques secondes plus tard elle revenait pour vous servir le vin, tu pris la précaution de lui signaler qu'un demi-verre pour Alek serait parfait et tu la remercias de nouveau. Lorsqu'elle s'éloigna, tu ne pus t'empêcher de constater la minutie avec laquelle elle était toujours bien habillée, coiffée et maquillée. Pourtant ce n'était pas les secrétaires que tu croisais dans l'administration, parfumées à outrance avec dix couches de maquillages en guise de cache-réalité, sans parler des décolletés parfois ouverts pour attirer toute sorte d'individus. Non, c'était clairement différent. Elle avait une classe et une simplicité qui apportait cette touche de... bref, tu l'appréciais. Tu attrapas tes deux couverts et commença à couper la viande, la piquer avec une pomme de terre.

Enfin, je te dis ça pas seulement parce que j'ai envie de t'embêter, mais parce que je parle souvent avec elle. Elle est venue chez moi la semaine dernière tu sais... bon, à la base pour une histoire d'aide pour ses copies. Mais ça a rapidement dérivé sur toi.

Tu souris en coin alors que tu mangeais tranquillement ton repas. C'était délicieux, comme d'habitude. Le problème est que tu ne changerais jamais ces habitudes à cause de ça. Tu ne savais pas si tu devais être content ou en être plus triste encore.

Tu manges tranquillement alors qu'Alek commence à expliquer ses pauvres exploits, peu valeureux et dignes de lui. Non mais vraiment? Et dire qu'il en a les capacités, à chaque fois il évite ne serait-ce qu'un pas alors qu'il pourrait avoir tout ce qu'il désire par sa simple gentillesse. Il faut le pousser, le petit Alek, sans quoi il n'irait pas bien loin. D'ailleurs c'était bien ce que tu pensais, en découpant la viande et l'amenant à la bouche. Il fallait bien quelqu'un pour le pousser sur le droit chemin, et même s'il s'en plaignait, plus tard il comprendrait un peu tes intentions. Bah, elles ne sont pas mauvaises alors tu ne te reprochais rien. C'est juste qu'Alek, comme il le disait si bien à l'instant, n'aimait pas tellement être le centre des attentions, il préférait rester le personnage secondaire, voire se faire oublier. C'était peine perdue avec toi, n'est-ce pas? Car ton passe-temps favori était de savoir ce qu'il en était pour lui. Bon, c'était plus parce qu'il était ton ami qu'autre chose, les autres tu t'en moquais éperdument.

Bah, parce que tu es le seul qui ne parle jamais de toi! Et puis tu fais tellement tout pour éviter de te faire remarquer, qu'on a forcément envie de te taquiner.

Lanças-tu en terminant d'avaler, puis en prenant calmement ton verre. Le vin sentait bon, ça te faisait plaisir d'en prendre de temps à autre – non, tu ne buvais pas tant que ça, et il fallait aussi que tu sois dans l'humeur pour le faire, et goûter un peu en cette soirée détente n'était pas si mauvais. Tu en pris une gorgée, déposas ton verre en écoutant calmement ce qu'il venait de dire.
La serveuse que tu reluquais? C'était pas faux en soi. Cela faisait bien plusieurs semaines, voire plusieurs mois que tu posais ton regard sur elle. Elle n'était pas vilaine, loin de là. C'est peut-être la seule femme sur laquelle tu aies eu la simple envie de poser le regard. D'ailleurs, si tu n'avais pas cette horrible sensation d'être trahi par la moindre personne du sexe opposé, peut-être même que tu lui aurais déjà demandé son numéro et invité quelque part. Contrairement à Alek – et loin de toi l'idée de lui en vouloir ou de se moquer de lui – tu n'étais pas un homme difficile pour les sorties. Mais les relations plus profondes et à long terme était comme un obstacle que tu ne pouvais franchir depuis Eléanor. Et si tu n'avais pas non plus l'impression que toutes les femmes étaient comme elle, oui peut-être que tu te serais déjà remarié depuis longtemps. Mais même le mariage pour toi avait un goût fade, voire amer sur certains moments.

Ah c'est sûr qu'il est rare de trouver une aussi belle fleur de nos jours... continuas-tu à voix basse histoire de ne pas trop en faire un plat dans le pub, mais le lac serait une mauvaise idée. D'ailleurs, tu n'invites pas au lac pour un premier rendez-vous! Bon, ça dépend des goûts...

Contrairement à Alek, tu avais l'habitude et ça ne te dérangeais pas de te faire charrier de cette façon, alors tu poursuivis sur le ton de la plaisanterie, même si au fond tu avouais que ce n'était pas par obligation que tes yeux se rivaient constamment sur la silhouette de la serveuse. Lorelei, comme tu l'avais appris, un nom qui s'apparente souvent aux papillons et aux mondes parallèles dans lequel tout n'est que paradoxe. C'était aussi un peu rare, et ce n'était pas plus mal. Il donnait un peu de sens à la belle trouvaille. Et comme un jardinier amoureux de ses plantes, tu préférais ne pas la cueillir et seulement l'admirer. Du moins pour l'instant tu n'en avais pas l'intention.

Et pourquoi je devrais lui donner mon numéro? Je la trouve seulement jolie, je n'avais pas à l'idée de sortir avec elle.

Tu penchas la tête après avoir pris une patate douce que tu avais dégusté tranquillement.

Rien ne dit non plus qu'elle est intéressée, les choses peuvent paraître différentes de ce que l'on pense!

-Plus attractif? Tout dépend des goûts de chacun j'ai envie de dire. Mais tu ne vas pas me dire qu'un café où tu peux lire est un endroit moins attractif qu'un lac?

Tu n'avais pas vraiment lancé cela pour un débat, tu t'étais plutôt mis en tête de discuter un peu, et de réfléchir véritablement sur les endroits qu'il était de possible de voir ou de profiter sans pour autant faire le poisson rouge dans un bocal, à regarder un partenaire en chien de faïence. Puis tu t'étais souvenu de ce fameux café ou librairie, ou les deux – au choix – qui se consacrait à vendre ou prêter les livres, avec une partie café et pâtisserie juste à côté, parfois même en terrasse avec quelques tables pour faire office de coin de lecture lorsque la météo le permettait.
De tes souvenirs et de toutes les filles avec lesquelles tu avais fait plus qu'une rencontre d'une nuit, elles s'étaient toutes émerveillées devant la simplicité mais le côté « mignon » de ces endroits très cosy. Les femmes aimaient les choses petites, les choses simples mais bonnes, les lieux où elles pouvaient être avec un homme sans être trop proche ou se sentir trop en insécurité. Le café donnait cette opportunité, notamment parce qu'il permettait de discuter livres lorsque la conversation ne pouvait pas se faire naturelle.

-Tu sais, d'ailleurs, une librairie a ouvert mais tu peux emprunter des livres sans les acheter! Et même que le gérant peut te proposer du café si tu restes un peu. C'est assez sympa et distrayant, surtout que les livres, on peut dire qu'on aime ça, nous!

Avais-tu dit en pensant à cette petite boutique que tu ne savais comment qualifier. Tu te souvenais bien du vieux bois sec et des livres empreints de l'odeur du passé, quelque chose qui t'avais immédiatement plus; mais une autre pièce donnait aussi sur quelque chose de plus moderne et quelques tables mises à dispositions pour la lecture, agrémentées de chaises ou de fauteuils. Tu t'étais demandé si tu ne t'étais pas trompé d'endroit, avant que le gérant n'explique ce que tu avais le droit de faire ou pas. Bien sûr, en tant qu'amoureux de livres et de cafés, il n'y avait pas mieux. Mais en plus de savoir qu'il avait des horaires plus larges que les tiennes t'avait séduit à un point inimaginable. Alors oui, emmener une femme à cet endroit était pour toi le comble des révélations, le summum d'une relation... qui n'avait jamais abouti.

-Moi, c'est là que j'emmènerai quelqu'un, repris-tu en terminant ton assiette qui sembla satisfaire ton estomac critique, c'est là que je passerais mes journées si je le pouvais d'ailleurs. Enfin, s'il n'y avait pas non plus ce bar pour lequel j'apprécie tout de même l'ambiance et le choix.

Cependant, dans ta tête il n'y avait pas vraiment que le choix ou l'ambiance, il y avait aussi cette fameuse silhouette que tu te forçais à ne pas inclure dans tes propositions. Lorelei était pour toi un gage de récompense à regarder en arrivant ici, et même si tu passais un moment à la librairie non loin de là, tu préférais tout de même de temps en temps venir vérifier comment elle se portait; était-ce seulement ce que l'on appelait là de l'amour? Pas vraiment. Peut-être pas à ce moment-là. De la curiosité mal cachée? Oui, certainement. Mais contre ton gré, beaucoup de choses ne seront pas ce qu'elles devraient, et contre toute attente tu devras t'y faire, à cette nouvelle vie.
Tout du moins, plus tard, lorsque tu auras passé quelques étapes.

-Plus que dans un bar en tout cas. Enfin, dans la grande majorité les anglaises sont difficiles. Elles commencent à avoir des goûts de françaises alors qu'elles n'ont pas le tiers de ce qui se fait là-bas. Je crois qu'il vaudrait mieux pas tenter, dans les deux cas, de l'emmener dans un bar. Sauf peut-être pour les habituées de la bonne bière et de la bonne chère.

Tu pensais tout de même à quelques unes, adeptes des boissons fortes mais pas moins séduisantes, qui avaient toujours préféré se faire accepter à l'égal des hommes, et que dans cette génération de combattantes il y avait parfois des rustiques. En finissant ton verre tu pensas tout de même que nombreuses étaient celles qui étaient exigeantes, qui n'avaient jamais apprécié au moins un détail du rendez-vous et qui avaient toujours eu des préférences pour la proximité et les attentions serviables. Et toi, en tant que gentleman, tu n'étais pas adepte de l'esclavagisme, car penser qu'une femme était reine quand tu n'étais qu'un prince, c'était retourner le féminisme en tyrannie. De plus, tu n'étais pas misogyne, mais pour toi l'égalité était réciproque et non idéalisée à la Disney.
Tu déposas ton verre de vin, tu l'avais terminé calmement et en plusieurs fois. Tu zyeutas le verre de ton ami.

-Ou alors, il faudrait ouvrir un nouveau concept? Un truc spécialement pour les rencontres et les flirts? Mais je doute que toi ou moi ne nous retrouvions dans un coin aussi désagréable...

Et tu souris, pensant notamment aux soirées rencontres que les français se faisaient officiellement et via des associations, comme des désespérés.

-Et passe-moi ton verre avant que tu ne fasses une crise d'épilepsie!