Sifflotant le jingle de la SNCF, Gabrielle changea la musique sur son MP3, sa valise roulant derrière elle au fil de ses pas.



Elle regardait à droite, à gauche. Scrutant chacun des compartiments de ses grands yeux bleus en quête d'un endroit où elle pourrait s'installer. En effet, passer l'intégralité du trajet dans le couloir à attendre près d'une porte où elle serait assaillie de courants d'air ne lui paraissait pas une excellente idée. Son cardigan noir pouvait certes couvrir son buste davantage que sa chemise qu'elle n'avait même pas pris la peine de bien fermé, mais ce n'était certainement pas sa jupe qui protégerait ses jambes contre la fraicheur du temps. Par ailleurs, une place assise lui permettrait sûrement d'utiliser son ordinateur portable et de se connecter à internet une dernière fois. Grand avantage par rapport à la France, l'intégralité des trains du réseau ferré anglais était doté de wifi et bien qu'elle n'était pas certaine de la puissance de celui-ci, ça lui permettrait toujours d'accéder à la toile. Rien que pour ça elle était prête à passer la journée à parcourir le train en tout sens.

Décidément ce train semblait bondé. Entre les compartiments remplis d'élèves -dont certains arboraient déjà l'uniforme- qui se racontait leurs vacances et ceux débordants de nouveaux élèves tous plus terrifiés les uns que les autres à l'idée d'entrer au pensionnat, elle commençait presque à désespérer. À quoi bon continuer à chercher lorsque tout les élèves semblaient déjà s'entasser les uns sur les autres et ce dès les premiers wagons?

Pourtant, alors qu'elle s'apprêtait à rebrousser chemin, son regard fut attiré par un compartiment tel un papillon attiré par l'astre lunaire. Un compartiment, qui lui semblait baigner dans une lumière quasi-divine, entièrement vide en dehors d'une jeune fille qui devait avoir son âge se trouvait juste sur sa droite. Sur le coup ça semblait presque trop beau pour être vrai. Gabrielle l'observa rapidement à travers la vitre de la porte. De courts cheveux bruns, des vêtements somme toute assez similaires aux siens quoique plus ternes, des yeux aux iris rubiconds. Voilà qui était bien curieux…

Seulement voilà, notre jeune amie se sentait soudain douter. Et si cette fille n'était pas seule? Si ses amis s'étaient rapidement absentés ou qu'ils ne l'avait pas encore rejoins. Se pourrait-il qu'elle voyage seule, tout comme elle? Voudrait-elle vraiment être dérangée si tel était le cas? Après tout il arrivait à Gabrielle de ne pas être des plus discrètes, surtout si elle était sur son ordinateur à profiter du wifi offert par le train. Qui ne tente rien n'a rien ceci dit, prenant une longue inspiration afin de se calmer quelque peu, elle chassa un pli invisible de sa jupe par pur reflexe avant de toquer doucement à la porte et de l'ouvrir.

- Err... bonjour. fit-elle en anglais. Il reste une place de libre ou tu attends du monde?

Se mordant légèrement la lèvre, elle attendit la réponse de l'autre jeune femme.

Si l'expression de l'inconnue s'était voulue mauvaise un premier temps, elle s'adoucit presque aussitôt que son regard croisa celui de Gabrielle. Et c'est avec une pointe d'amusement que celle-ci remarqua que sa vis-à-vis semblait assez déboussolée. Se sentait-elle soudainement gênée? Cela semblait être le cas, du moins à l'entendre s'emmêler ainsi dans une phrase qui se voulait simple. Au moins, elle avait eu le droit de rentrer...

Offrant un sourire à la brune, notre jeune amie ferma la porte et rangea sa valise. Ainsi cette jeune femme voyageait seule elle aussi? Voila qui était intéressant, en particulier si elles avaient l'occasion de se recroiser au sein du pensionnat. Peut-être qu'elle pourrait se faire des amis finalement... Peut-être. Car à la vue de l'autre qui la reluquait sans vergogne en pensant ne pas avoir été remarquée, Gabrielle ne pouvait s'empêcher de se dire que ce n'était sans doute pas de son amitié qu'elle recherchait.

- A-alors... euh... Toi aussi tu vas à... ?

La blonde dû se mordre les joues pour ne pas sourire à nouveau. Vraiment cette manière qu'elle avait d'hésiter à chaque mot était adorable. Contrairement à la confiance de Gaby qui était revenue au galop sitôt qu'elle avait pu pénétrer le compartiment, celle de son interlocutrice semblait s'être envolée dès le premier regard. Le retour de son aplomb disparu n'enlèverait sûrement rien de son charme. Si des phrases segmentée pouvaient être si ravissantes, qu'en serait-il de phrases complètes? Décidant de la pousser dans cette direction, elle répondit:

- À Wentworth? Ouais, j'entre en deuxième année... Mes parents pensent que ce sera une sorte d'opportunité, pour que je travaille davantage. Mais moi, ajouta-t-elle en riant, je crois surtout que je vais en profiter pour me faire un maximum d'amis.

Ne voulant couper court à la conversation, elle sortit son téléphone plutôt que son ordinateur et se mit à pianoter distraitement sans la lâcher du regard. La brune semblait si timide à présent, elle ne voulait pas risquer que la simple séparation par un écran ne la mure dans le silence.

- Au fait, moi c'est Gabrielle, ravie de te connaître.

Quelques barres de réseaux un peu instables et une connexion au wifi, pas aussi bien qu'avec son ordinateur mais elle saurait largement s'en contenter. Elle qui comptait consulter ses messages, vérifier les divers sites qu'elle suivait et peut-être même chatter avec quelques uns de ses amis... M'enfin, elle pourrait toujours le faire à un autre moment, après tout, elle avait mieux à faire à l'heure actuelle et les sites pouvaient attendre toute la journée pour qu'elle y consacre quelques minutes contrairement à la jeune femme qui lui faisait face.

- Euh... moi c'est Rosema... Euh... Rose.

"Rosema..." huh? Sans doute Rosemarie ou quelque chose de similaire. C'était plutôt dommage qu'elle semble préférer qu'on l'appelle Rose car Gabrielle trouvait son possible nom complet plutôt joli. La franco-anglaise cherchait quelque chose à dire pour maintenir la conversation mais n'en eut guère réellement le temps puisque son interlocutrice s'excusa rapidement avant de littéralement fuir le compartiment. Visiblement elle avait commis une gaffe, le soucis étant qu'elle ne savait pas trop laquelle.

Poussant un soupir en se disant que Rose reviendrait lorsqu'elle le souhaiterait et qu'elle aurait alors tout le loisir de s'excuser de son impair, notre jeune amie se reconcentra sur son téléphone et sur sa quête de réseau. Celui-ci s'étant enfin connecté au wifi du train, elle tenta d'ouvrir sa boite mail, mais le chargement de celle-ci semblait durer au moins trois éternités. Trois éternités durant lesquelles il lui sembla entendre de l'agitation dans le couloir à laquelle Rose ne semblait pas étrangère. Elle décida cependant de ne pas s'en préoccuper, après tout si la situation dégénérait davantage rien ne l'empêcherait d'intervenir par la suite.

Lorsque Rose reparu dans le compartiment, Gabrielle était occupée à pester en français contre le contenu de sa boîte mail, ou plutôt l'absence de contenu de celle-ci. Remarquant finalement qu'elle n'était pas seule, elle sourit à la brune comme
si de rien n'était tout en espérant que cela suffirait à rattraper ses bourdes.

- Aucun messages, fit-elle en agitant son cellulaire, j'attendais le mail d'une amie mais apparemment elle ignore qu'il y a du wifi ici. Peut-être qu'il n'y en a pas dans les trains en Suisse...

Est-ce qu'il y avait au moins des trains en Suisse? Tout ce que la blonde savait de la géographie de ce pays c'est qu'on y trouvait beaucoup de montages, pas très pratique pour installer des voies ferrées.. Faisant fit de ces pensées inutiles, elle reconcentra son attention sur son interlocutrice.

- Au fait tu te sens un peu mieux? J'ai pas grand chose sur moi en prévision du mal des transports ou si tu te sens mal mais je dois avoir un thermos de thé dans mon sac si tu veux.

Sitôt dit, sitôt fait, elle commença à fouiller son sac en quête de thé et d'un espoir de rendre Rose un peu plus à l'aise dans la conversation. Et de se rendre à l'aise du même coup. Elle ignorait toujours ce qui avait poussé l'autre à fuir de la sorte un peu plus tôt et si elle en était réellement responsable elle espérait se rattraper assez vite.